[Courtier de Colten Baxter] Environs de Waco, Texas - L'immensité sauvage.

Bien assis sur le dos de sa monture, Colten respirait à pleins poumons la pureté de l'air des grands espaces, tenant ses rênes d'une main, l'autre négligemment posé sur la crosse de sa carabine, rangée dans son étui fixé à droite de la selle. Accompagné de ses amis Niyol et son frère ainé Bidzill, deux Indiens navajos de la réserve proche du ranch de son père, le jeune Texan savourait la quiétude de cette belle journée qui sentait déjà bon les vacances.

Les trois garçons avaient décidé de profiter de cette période pour s'offrir quelques jours de liberté en allant faire une petite escapade à cheval à travers l'immensité de la prairie. La fête nationale approchait à grands pas et, avec elle, son lot de manifestations sportives et concours de rodéo auxquels Colten se faisait déjà une joie de participer. Aussi, le jeune adolescent avait-il résolu de se remettre un peu dans le bain en allant s'entraîner. Et pour cet entraînement, quels meilleurs professeurs aurait-il pu espérer si ce n'étaient ses deux amis indiens ?

Il appréciait énormément l'amitié chaleureuse de Niyol (Vent en langage navajo), le bien nommé tant il était rapide lancé au galop sur son cheval, garçon de l'âge de Colten et de son frère Bidzill (Il est fort), de trois ans son ainé. Cette amitié était particulièrement importante depuis l'apparition de la mutation naissante de Colten. Tremblant à chaque instant de se voir découvert par son père ou un des amis de celui-ci, l'adolescent recherchaient, dans la présence des Indiens, une certaine forme de sécurité. Il n'avait pas encore osé se confier à eux, mais il était serein. Il savait qu'il serait accepté comme il était et que son secret ne serait pas trahi.

Alors que Colten était perdu dans ses pensées, la voix calme de Bidzill le rappela à la réalité.

"Ashkii" (Garçon), "nous allons bientôt arriver à l'emplacement de notre campement...", commença-t-il lorsqu'un cri l'interrompit.

"Premier arrivé ! Yiaaaaaaaah !"

Dans un glapissement sauvage, Niyol poussa aussitôt son cheval au galop, déclenchant le signal de la course. Après un léger temps de retard, Colten éperonna les flancs de sa monture, la lançant à la poursuite de son ami. Il ne serait pas dit qu'il allait se laisser distancer ainsi sans tenter au moins de réagir.

Avec un sourire amusé devant la fougue de la jeunesse, Bidzill regardait les deux cavaliers s'éloigner rapidement. Puis, tranquillement, l'ainé de la bande les suivit au petit trot, sans faire mine de se joindre à leur compétition amicale.

Finalement ce fut Niyol qui arriva le premier au lieu choisi pour installer le campement. Il mit pied à terre et regarda Colten avec une expression victorieuse.

"Tu n'aurais pas du défier un Navajo ! Maintenant, tu me dois un gage !"

Bidzill arrivait tranquillement à la suite de Colten et mit lui même pied à terre. Il observa son frère et le jeune mutant l'espace d'un instant, un sourire amusé aux lèvres...

... puis son visage s'assombrit.

Bidzill baissait les yeux. Et observait le sol et le sable. Il y avait des traces... Des traces qui n'étaient pas celles d'un homme, d'un cheval ni même d'une voiture... Il s'agissait de chenilles.

"Des chars ?" demanda Niyol, un peu inquiet.

Bidzill hocha tristement de la tête.

Les joues rougies par l'excitation de la poursuite, Colten affichait un grand sourire malgré sa défaite. Néanmoins, soucieux de préserver un peu les apparences, il protesta en riant.

"Eeeeeh, j'ai défié personne moi ! C'est toi qui a lancé le signal de la course… En plus tu m'as pris par surprise…" Se passant une main dans les cheveux, l'adolescent essayait de donner un aspect plus soignée à sa coiffure en bataille. "Mais bon, OK ! J't'accorde la victoire pour cette fois mais j'aurai ma revanche. Pour le gage, on en reparlera après…"

Riant toujours, Colten mit, à son tour, pied à terre. Tenant son cheval par la bride, il s'approcha, intrigué, des traces qu'avait relevé Bidzill sur le sol. Fonçant les sourcils, il s'accroupit pour mieux les voir.

"C'est la première fois que j'vois un truc comme ça dans le coin… Ca ressemble aux traces laissés par les bulldozers aux carrières. Ca fout quoi ici ? Au milieu de la prairie ?"

Remarquant l'air inquiet de son ami Niyol, l'apprenti cow-boy se tourna vers lui en se remettant debout.

"T'as d'jà vu des empreintes de ce type auparavant ? C'est quoi ces chars que tu parles ? Tu crois qu'mon père est au courant que des chars se baladent sur ses terres ?"

Agacé, Colten eut un léger geste d'humeur. Il n'avait vraiment pas envie d'interrompre déjà leur expédition pour aller faire un rapport de ce genre à son géniteur.

Niyol haussa les épaules. Le jeune indien semblait quelque peu dépassé par la situation. Quant à Bidzill, toujours aussi grave...

"Ça pourrait être un bulldozer... Ou ça pourrait être..."

Il jeta un regard à son frère et ajouta :

"Ça pourrait être en lien avec ces trucs qu'on a lu sur le net..."

Bidzill se figea net. Un cavalier était en approche.


Quelques instants plus tard, sur un beau pur-sang, se tenait un homme drôlement attifé. Il avait un révolver en main mais ne paraissait pas hostile. Par ailleurs, il semblait porter un uniforme et des lettres sinistres apparaissaient à la manière de deux éclairs sur le motif de sa cravate texane.

SS

Le cavalier s'adressa aux trois garçons :

"Holà ! Savez-vous où je pourrais acquérir des chevaux en quantité dans le coin ?"

Renfrogné, Colten grimaça. Tout cela ne lui plaisait vraiment pas du tout. Le jeune Texan n'appréciait pas ce genre de chose. Depuis quand ce genre d'engins pouvait se promener en tout impunité sur leurs terres sans qu'il soit au courant ? A moins que son père n'ait donné son accord et n'ait pas jugé utile de l'informer…

Un peu surpris par les derniers mots de Bidzill, Colten lui lança un regard interrogatif. Sur le net ? Le garçon ne passait pas assez de temps sur la toile pour se tenir informer des moindres faits nouveaux aussi demanda-t-il un complément d'information.

"Vous avez vu quoi qui pourrait se rapporter à ça ? Il vont pas nous foutre en l'air la fête nationale et le concours de rodéo quand même ?"

Remarquant l'air figé de son ami navajo, Colten suivit la direction de son regard et fixa à son tour le cavalier qui venait vers eux. Dans cette région, il n'était guère surprenant de voir des hommes à cheval et l'hospitalité de l'ouest commandait de réserver un bon accueil aux voyageurs.

L'approche de l'homme crispa tout de même le jeune mutant lorsqu'il discerna les sinistres runes sur la cravate. Un partisan de Beluga, à n'en point douter. Tendu, Colten s'efforçait de ne rien laisser paraître et de se comporter normalement. La requête de l'homme était on ne pouvait plus naturelle, en plus.

"Bonjour monsieur.", répondit-il poliment. "Vous avez le BSA, le Baxter Special Adventure, à cinq heures de cheval dans cette direction. C'est le ranch de mon père. Je sais qu'il rassemble les troupeaux en ce moment, donc vous devriez trouver au moins une partie de ce que vous cherchez. Maintenant, je ne suis pas au courant des accords de vente qu'il a déjà passé..."

"Je te remercie, petit" répliqua l'homme avec un sourire malsain. "Et si tu as un jour besoin de moi, sache que je m'appelle Abdallah Geronimo Cohen"

Et il repartit comme il était arrivé... Dans un grand galop.

Les deux amis de Colten demeurèrent silencieux quelques instants. Puis, l'ainé des deux lança :

"J'aime pas ces types ! Je les hais !"

Niyol ne savait plus trop où se mettre. Il tenta un peu maladroitement :

"Vous croyez qu'il a un lien avec les traces de tank qu'on a vu ?"

Bidzill lança un regard qui voulait en dire long puis répondit à la question de Colten.

"Je crois qu'avec ces types, il n'y aura plus jamais de fête nationale digne de ce nom... Le Président Beluga et sa clique sont la pire chose qu'il pouvait arriver à ce pays ! Quant aux rumeurs du net..."

Il s'arrêta avant de reprendre plus doucement :

"Elles font état de manœuvres de l'armée confédérée dans le coin. Officiellement, il s'agit d'opérations de maintien de l'ordre. Des terroristes anti-régime se trouveraient au Texas. Officieusement..."

Bidzill avala péniblement sa salive.

"Officieusement, il se raconte qu'une division de blindés réalise des opérations spéciales dans les villages. L'opération aurait même pour nom Nacht und Nebel, et même si je sais pas ce que ça veut dire, ça présage rien de bon..."

Niyol se permit d'ajouter :

"N'empêche que je pensais pas qu'aujourd'hui, je rencontrerai Abdallah Geronimo Cohen..."

Bidzill le fusilla du regard.

Au départ du cavalier, Colten poussa un imperceptible soupir de soulagement en le regardant s'éloigner et disparaître à l'horizon. La réaction de Bidzill ne le surprenait pas tant le souvenir des minorités opprimée restait vivace dans le collectif navajo. La montée du nouveau régime et sa politique anti-mutant ravivaient des blessures pour une nation qui avait souffert de discrimination.

Prudent malgré tout, le jeune Texan restait sur sa réserve et se gardait bien de surenchérir sur la haine exprimée par son ami. Après tout, le père de Colten était un fidèle partisan du président Beluga et trop d'animosité envers ce dernier pourrait sembler suspect et injustifié.

Des manœuvres de blindés dans la région ? Voila qui était surprenant quand même. Colten était surpris que son père ait pu autoriser pareille chose propre à effrayer les troupeaux. Quoique, en y repensant bien, ce secteur était relativement désert – c'était d'ailleurs pour cela que les garçons l'avaient choisi pour leur escapade – et assez éloigné des pâturages.

Mais l'hypothèse suivante était également fort plausible et appuyait les rumeurs de rafles survenues ces derniers temps. Le visage du jeune mutant était crispé à ces pensées tant était présente la peur d'être démasqué. D'une voix un peu blanche qu'il s'efforçait de rendre plus ferme, il soupira.

"C'est sûr que nous vivons des temps troublés, mais la situation va vite se tasser. On a rien à craindre…" Méthode Coué, peut-être mais Colten avait besoin de se rassurer…

L'intervention de Niyol vint apporter une diversion, apparemment peu appréciée de son ainé. Le sourire malsain de leur visiteur passé laissait toutefois un sentiment de malaise chez le mutant.

"Tu as déjà entendu parler de cet homme ?", s'étonna-t-il en fixant son ami. "Geronimo ? C'est un nom apache, ça… Chiricahua, si je me souviens bien… Un cousin des Navajos, non ? Comment un indien peut-il s'afficher comme partisan de Beluga ?"

Colten, grâce à ses amis, était parfaitement informé des subtilités existant entre les différentes tribus apaches mais il se doutait bien qu'ils n'apprécieraient que modérément d'être assimilés, de près ou de loin, à un homme s'affichant avec le double S sur sa cravate.

"Si tu le dis..." lança tristement Bidzill. "Personnellement, j'ai l'impression que tout va de mal en pis dans ce pays et que nous sommes plus ou moins condamnés à subir tout ça, passivement..."

Niyol voulut répondre à la seconde question mais son ainé fut, là encore, le plus rapide.

"Abdallah Geronimo Cohen est la honte des apaches et celle de tout le peuple indien. C'est un repris de justice qui a su profiter de l'arrivée de Beluga au pouvoir pour faire effacer sa dette. Depuis, les pires rumeurs circulent à son sujet au sein de la communauté indienne de Waco... Il serait revenu dans le coin pour mener diverses opérations douteuses et s'enrichir sur le dos des pauvres gens"

Il marqua une pause puis conclut :

"Enfin, ton père a suffisamment de jugeote pour négocier ses chevaux à un prix acceptable. Et puis, pour le reste, que cela ne nous gâche pas notre expédition ! Si on installait le campement ?"

Colten eut un petit rire sans joie. De la jugeote ? Son père ? Oui certainement assez pour savoir naviguer en fonction du vent, comme en témoignait son soutien au président Beluga. Quant à savoir négocier le prix de ses chevaux ! Aucun doute à avoir ! Il n'avait pas bâti sa fortune sans posséder un talent certain comme maquignon.

En tout cas, le sieur Abdallah Geronimo Cohen semblait être un bien triste individu, prêt à toutes les bassesses pour s'attirer les bonnes grâces de ses employeurs. Pas grave ! Monsieur Baxter, père, était de taille à tenir tête à un tel homme qui ne pourrait pas, pour une fois, faire du chantage en mettant en avant son appartenance aux hommes de main de Beluga.

"T'as raison ! Assez perdu de temps à cause de ce type ! Il est temps de s'installer…"

Rapidement, Colten détacha la couverture roulée à l'arrière de sa selle et la posa à terre. Sortant sa carabine de son étui, il l'appuya contre un arbre avant de s'occuper se son cheval. Habitué à ses chevauchées, le Texan connaissait toute l'importance à accorder au soin de sa monture. D'abord s'occuper d'elle ! Le cavalier passait en second plan…

Retirant la selle, il flatta la croupe de son pur-sang puis il commença à brosser avec énergie la robe de son cheval. Un sourire aux lèvres, Colten s'interrompit quelques secondes pour regarder ses amis. Qu'il était bon d'être ensemble, loin de toute civilisation !

"On dirait qu'il va faire beau… On va pouvoir passer la nuit à la belle étoile…"

... et les paroles de Colten s'avérèrent exactes ! De plus, le jeune mutant passa un agréable moment en compagnie de ses amis, à échanger sur tout et rien et à déguster un sympathique repas de cow-boy (haricots rouge cuits à même la boite !).

Finalement, tout le monde s'endormit et passa une nuit sans rêve jusqu'au lendemain...


Ce fut Bidzill qui réveilla son frère et Colten d'un coup de pied viril et amical dans le duvet de ces derniers.

"Debout les gars ! Il est déjà tard !"

Colten put voir qu'à sa montre 11h00 sonnaient déjà.

"On fait quoi ?" ajouta Bidzill pas plus pressé que ça.

"Merde, 11h00 déjà !", s'exclama Colten, un peu gêné, en s'extirpant de son sac de couchage. Bon, ça allait encore, Niyol jouait aussi à la marmotte ce matin. Le jeune mutant n'aurait pas à supporter, seul, la honte d'avoir autant trainé au lit.

Assis par terre, il enfila rapidement son jean – il n'allait tout de même pas rester en boxer – avant de se redresser et de s'étirer en baillant. Le soleil était déjà haut dans le ciel et dardait ses rayons chauds sur les épaules nues du garçon.

"Moi, j'suis à tes ordres…", déclara-t-il, taquin, à Bidzill. "Enfin, j'propose qu'on replie le camp, qu'on s'mange un morceau et qu'on aille se balader un peu pour profiter de cette belle journée."

*Et espérons qu'on ne tombera pas sur les auteurs de ces traces de chenilles.*, pensa, en lui-même, l'adolescent, décidemment peu désireux de rencontrer les forces armées texanes, surtout si les rumeurs de purges se révélaient exactes.

"J'n'oublie pas qu'tu m'a promis de me montrer ton coup spécial pour attraper une cible au lasso. J'suis pas manchot avec cet outil mais t'es quand même un champion… Ca pourrait bien m'aider pour le concours de rodéo."

S'accroupissant à côté du feu ravivé par l'ainé des Navajos, Colten saisit avec précaution la cafetière qui fumait encore et se servit du café dans son quart en fer blanc.

"T'en veux aussi, Niyol ?", en proposa-t-il à son camarade qui émergeait lentement du sommeil.

Bidzill éclata de rire :

"Mais mon coup spécial, c'est pas pour les blancs becs ! T'es sur de vouloir que je t'apprenne mon spécial Bidzill des familles ?"

Niyol s'esclaffa également. Une bien belle journée se profilait.


Et il en fut ainsi. Ils se promenèrent et chevauchèrent sans rencontrer à nouveau les sinistres traces de mouvements blindés, refirent le monde en paroles et Colten réussit - finalement après de longues heures d'exercice - à reproduire la technique suprême de Bidzill pour attraper les bêtes au lasso.

Et il en fut ainsi, si bien que c'est le cœur presque gros que Colten se mit en route - accompagné par ses amis - en direction du ranch de ses parents.




Ils arrivèrent presque à la nuit tombante à proximité des terres de M. Baxter. Bientôt, passée la petite butte, Colten pourrait contempler le ranch. Bientôt...

... et ce fut le moment où tout s'arrêta. Ce qu'il découvrit n'était pas conforme à son souvenir. Ce qu'il découvrit le glaça.

Le ranch avait été dévasté par les flammes. Les enclos étaient vides. Et au loin des corps inanimés semblaient reposer au sol.

Ravi de maîtriser parfaitement la technique secrète de Bidzill, laquelle lui assurerait sans aucun doute un avantage certain au prochain rodéo, Colten était finalement impatient de rentrer chez lui. Après cette escapade il avait bien besoin de prendre une bonne douche pour éliminer toute la poussière qui était sur lui.

"Dis, Niyol, il faut faire la revanche pour qu'on détermine lequel de nous doit un gage à…", commença-t-il alors qu'il allait arriver en vue du ranch BSA.

Brusquement, le Texan se tut, choqué par le spectacle de désolation qui se tenait devant lui. Ruines encore fumantes, enclos ouverts et vides et des corps au sol… Mais que s'était-il passé ? Lorsqu'ils avaient décidé de partir, deux jours plus tôt, tout allait pour le mieux. Aucun nuage ne semblait devoir noircir l'avenir. Son père ne manifestait aucune crainte particulière et se félicitait plutôt de son implication aux côtés du président Beluga, propre, disait-il, à lui ouvrir de nombreuses portes.

"Nooooooon !"

Dans un hurlement désespéré, Colten sortit sa carabine de son étui et éperonna son cheval pour se précipiter au galop vers ce qui avait été sa maison. Avalant en quelques minutes interminables la distance le séparant du ranch, il guida sa monture vers les corps qui gisaient.

Sautant à terre, son arme toujours en main, il courut le plus vite possible, tremblant à l'idée de reconnaître son père, sa mère ou, pire encore, une de ses deux jeunes sœurs.

Chevauchant comme un dératé en direction du ranch, Colten remarqua à peine que Niyol le talonnait au plus près, sa propre carabine en main. Seul Bidzill paraissait ne pas encore avoir bougé...

... arrivé sur place, le jeun garçon manqua de tourner de l'oeil.

Son cœur parut s'arrêter et...

... le ranch avait été le terrain d'horreurs sans nom. Un esprit rationnel aurait pu se focaliser sur chacun des détails mais Colten n'en était plus là. Seules des impressions fugitives arrivaient à s'imprimer dans son esprit.

Les flammes.

Les impacts de balles et les graffitis orduriers.

Les flammes.

Le corps de son père, nu, pieds et poings liés et écorché - comme s'il avait été traîné au sol sur plusieurs centaines de mètres.

Les flammes.

Le corps de sa mère, pendue, sa robe déchirée et sa main gauche tranchée.

Les flammes.

La grange où l'on avait entassé les cadavres criblés de balles des employés du ranch.

Les flammes.

Le corps de l'une de ses sœurs, carbonisé.

Colten vomit, Niyol juste derrière lui paralysé par l'horreur du spectacle auquel il assistait.

Quand le jeune garçon reprit ses esprits, il ne put que penser : où était son autre sœur ? Et pourquoi avoir tranché la main de sa mère ?

... et c'est à ce moment qu'il les entendit. Deux voix. Deux garçons étaient en train de converser, passablement éméché, derrière l'un des rares bâtiments épargné par les flammes.

"Purée, Bob, ils y sont pas allés avec le dos de la cuillère, non ? J'aurai bien aimé être là pour voir ça..."

L'autre poussa un gloussement de fillette et ajouta :

"Bah, Billy, ça c'est quand on sera grand. Là, on va au camp d'été justement pour apprendre tout ça. Peut-être qu'ils ont fait une vidéo, tu crois pas ? Quoi qu'il en soit, on a bien fait de faire une pause ici... Y a peut-être des bidules à piquer..."

Le corps penché en avant, Colten vomissait. Il ne restait plus trace de la moindre nourriture solide dans l'estomac du jeune garçon, mais se dernier continuait de vomir, crachant maintenant douloureusement de la bile. Et toujours cette odeur. Odeur insoutenable de la mort. Odeur de la chair carbonisée qui surpassait nettement celle du bois consumé. Partout autour de lui régnait le même spectacle de désolation, fruit du cerveau dément d'un sadique.

Quel avait pu être le crime du ranch BSA pour justifier un tel sort ? Certes M. Baxter avait l'arrogance suffisante des gens qui avait réussi mais pas au point de mériter un tel sort. Pas au point de finir comme ça, nu, le corps brisé et attaché. Pas au point de massacrer sa famille et ses employés. Pas au point de raser et d'incendier la ferme.

Les jambes encore vacillantes, Colten se redressa, adressant un regard hagard à Niyol qui venait d'oublier l'habituelle impassibilité des Indiens devant une telle horreur. Ses mains tenant toujours sa carabine, le Texan sentait une peur panique l'envahir. Ceux qui avaient fait le coup n'étaient sûrement pas loin. Ils pouvaient revenir…

Progressivement, les questions arrivaient dans la tête de l'adolescent. Qui avait pu faire ça ? A un proche du président Beluga, qui plus est… Pourquoi une telle cruauté ? Pourquoi avoir humilié son père en le dénudant avant de le massacrer ? Pourquoi avoir coupé la main de sa mère ? Et où était son autre sœur ?

Un sentiment ténu d'espoir vit le jour, auquel Colten se raccrocha avec ferveur, la même ferveur qui abrite le naufrager tentant de se cramponner à une planche à la dérive. Sa sœur était peut-être encore en vie. Il devait la retrouver, coûte que coûte. Il devait se mettre à la poursuite des coupables de cette infamie et la leur faire payer. La leur faire payer au centuple !

Une froide détermination s'emparait de Colten alors que ses mains se crispaient sur son arme. Ses jointures blanchirent tant il mettait de la force dans ce geste. Toujours incapable de parler, il balaya encore du regard ce qui avait été sa maison. Aujourd'hui, il n'avait plus rien. Il ne possédait plus que ce qu'il avait emporté avec lui pour sa petite chevauchée en compagnie de ses amis.

C'est alors qu'il les entendit. A la nature des propos échangés, ces garçons ne faisaient pas partie des auteurs de ce massacre, mais le cautionnaient largement. Blême, les yeux durs, Colten se dévoila soudain, le canon de son arme pointé vers les deux inconnus.

"Qui a fait ça ? Pourquoi ? Où sont-ils partis ?", demanda-t-il d'une voix blanche. S'avançant d'un pas, il fixait les deux hommes.

"Par où sont-ils partis ?", répéta-t-il en armant, d'un geste brusque, sa carabine.

La haine pouvait nettement se lire au fond des yeux de Colten. Au moindre mouvement suspect, il ferait feu sans la moindre hésitation.

En se dévoilant, l'arme au poing, Colten eut le temps de voir les deux garçons...

... ils étaient jeunes, très jeunes...

Le premier, un petit brun boutonneux à lunettes, ne semblait pas être plus vieux que Colten. Il portait à la ceinture un petit pistolet et parut surpris de l'arrivée du jeune mutant.

L'autre, un brin plus âgé, était une grande perche blonde d'un bon mètre quatre vingt dix. Il fumait une cigarette et tenait à la main une carabine similaire à celle de Colten. Un couteau de chasse était fixé à sa jambe droite.

Ils avaient tous les deux sur la tête un béret noir couverts de badges et décorés à l'aide de rubans bariolés.

Niyol était juste derrière Colten, lui aussi sa carabine bien en main.

... et la situation explosa une fois de plus...

Le plus jeune des inconnus fit mine d'attraper son pistolet. Niyol tira et le cloua au sol, une balle bien logée dans le ventre.

L'autre inconnu, plutôt rapide, épaula sa carabine et tira sur Colten. Le jeune garçon sentit passer la balle contre son crâne et tomba à la renverse. Son champ de vision était obstrué par le sang qui lui coulait dans les yeux mais il avait toujours son arme bien en main.

Il entendit d'autres coups de feu et entendit un corps tomber à ses côtés.

Bien qu'il se tienne sur ses gardes, Colten fut pris de vitesse devant la rapidité de réaction des deux garçons. Peut-être avait-il été surprit par leur jeunesse, tant il s'attendait peu à trouver des gamins de son âge, ce qui lui donna ce temps de retard. Se préparant, au timbre des voix, à tomber sur deux gaillards trop saouls pour réagir, le jeune mutant n'était pas assez concentré.

Heureusement, Niyol, toujours aussi rapide et précis dans son tir, intervint aussitôt, sans la moindre hésitation. La brève fusillade qui suivit semblait bien trop nourrie pour n'être produite que par deux carabines.

Mais Colten n'était déjà plus en mesure de riposter. Un choc au niveau du crâne le projeta au sol. Touché par une balle qui, fort heureusement, n'avait fait que le frôler, le jeune Texan était à terre. Aveuglé par le sang qui coulait de la blessure superficielle de son crâne, il se redressa en titubant, s'essuyant les yeux d'un revers de la main gauche et ne faisant qu'étaler le liquide rouge sur son visage.

Dans le chaos de cette petite bataille, où étaient ses amis ? Et dans quel état ? Et où étaient ses adversaires, sur lesquels il devait tirer ?

Le corps qui venait de tomber à ses côtés, était-ce Niyol ? Tué ou blessé ? Ou se mettant tout simplement à couvert ? Et où était Bidzill dans tout ça ?

Vite ! Réagir avant que le mal de tête ne le paralyse complètement ! D'abord se mettre à couvert ! Puis riposter ! Colten serrait les dents de rage. Sa carabine toujours en main, il cherchait où étaient ses ennemis, voulant riposter tant pour se défendre que pour exorciser la haine qui brûlait en lui.

Il devait tuer autant de ses salauds que possible avant de succomber à son tour…

Colten riposta mais aveuglé qu'il était ne put voir le résultat de son tir... Puis, il sentit une autre balle pénétrer dans sa chair et sombra dans une inconscience qui ne pouvait être que la mort...


Pourtant, il rouvrit les yeux. Il rouvrit les yeux et il était dans une chambre qui n'était pas la sienne. Allongé dans un lit, il vit qu'il n'était pas seul : un adolescent arborant le même béret sur la tête que ses deux opposants semblait monter la garde dans la chambre. Voyant que Colten s'était réveillé, il se redressa d'un coup et lui lança :

"Wow, mon frère... T'es enfin réveillé ? Bordel au camp t'es un héros ! Quand le Grand-Faf va apprendre ça, il va être trop content !

Un bruit assourdissant… Toujours cette odeur insoutenable, bois et chair calcinés… Puis une nouvelle douleur et plus rien… Le néant…

Devant tant d'horreur, Colten glissa dans l'inconscience, son cerveau refusant d'enregistrer de nouvelles images de désolation.

Puis, progressivement, le garçon reprit pied dans la réalité. Il se trouvait dans un lit, dans une chambre inconnue. Le mal de tête s'était dissipé pourtant Colten se sentait épuisé, vidé de toute énergie.

Les yeux ouverts mais le regard absent, il tentait de se rappeler ce qu'il faisait là, ce qu'il s'était passé juste avant qu'il ne s'évanouisse. Que faisait-il dans ce lit ? Qui l'avait déshabillé et couché ? Machinalement, il souleva le drap et redressa la tête pour voir dans quelle tenue il se trouvait. Une simple blouse d'hôpital. Que faisait-il dans cette tenue ? Puis, fatigué par l'effort, il laissa retomber la nuque sur son oreiller.

Prenant conscience d'une autre présence, il regarda fixement le garçon qui l'avait veillé pendant son coma. Le béret que portait l'adolescent rappelait vaguement quelque chose à Colten. Où Diable, et quand, avait-il déjà vu pareil couvre-chef ?

Complètement perdu, le Texan entendit les exclamations enthousiastes. Lui ? Un héros ? Il avait fait quoi pour ça ? Pourquoi ce vide dans sa mémoire ? Cette impossibilité de se souvenirs des événements récents ?

"Un héros ? Moi ?", bredouilla-t-il d'une voix faible. "Mais… J'ai fait quoi ? Il s'est passé quoi ? Quel jour sommes-nous ? Où suis-je ? Qui… Qui es-tu ? Et qui est le Grand-Faf ?"

Les questions montaient spontanément aux lèvres de Colten. La situation le dépassait complètement. Il y avait encore tellement de zones d'ombre.

Le jeune homme sourit et répliqua tout de go :

"On se connaît pas. Je m'appelle Matt des Jeunesses Confédérées de Houston. Quant à ce que tu as fait... On t'as retrouvé blessé et inconscient à côté du cadavre d'un indien et d'un affreux garçon boutonneux... Visiblement, tu as été attaqué avec un collègue à toi par ces sauvages alors que tu te promenais innocemment. Ton pote a été abattu mais toi tu as su te défendre ! Et tu as également blessé un autre peau-rouge qu'on a immédiatement capturé !"

Il marqua une pause pour boire à même le goulot d'une petite flasque de whisky qu'il avait dans sa poche. Ceci étant fait, il reprit :

"Du coup, on t'as amené à l'hôpital réquisitionné pour notre congrès à San Antonio. Ah et puis..."

Il annonça la date : visiblement Colten avait été dans le coma pendant un petit moment... et il avait été traité correctement à la faveur d'un quiproquo de taille.

Finalement, Matt termina :

"Le Grand-Faf de San Antonio est le chef de la section des Jeunesses Confédérées du coin. C'est lui qui organise notre beau congrès..."

Abasourdi, Colten écoutait le dénommé Matt donner des explications. Des cadavres ? Celui d'un indien et d'un boutonneux… Un voile se déchira dans la tête du garçon alors que les souvenirs remontaient brutalement à la surface et, avec eux, leurs lots d'horreur et de répulsion.

Le boutonneux ? Sûrement celui que Niyol avait descendu avant que son complice ne tire sur Colten. Mais… L'indien retrouvé mort à côté de lui… Oh non ! Qui avait été tué ? Niyol ou Bidzill ? Réalisant qu'un de ses amis était mort, le jeune mutant texan baissa la tête en sentant les larmes lui envahir les yeux. Tout cela ne s'arrêterait donc jamais. L'image de son père nu et torturé, celle de sa mère mutilée et de sa sœur carbonisée, s'imposa dans toute sa cruelle réalité devant ses yeux. Et maintenant, un de ses amis navajos ! Trop, c'était trop !

Le regard luisant de haine, Colten releva la tête, fixant le membre des Jeunesses Confédérées. Celui-là paierait pour les autres ! Dans un effort, l'adolescent tenta de se redresser pour sortir du lit et se jeter sur sa cible mais son niveau d'épuisement était trop grand et, dans un gémissement, le mutant retomba sur son matelas.

Il était vraiment trop faible pour agir. Même la vengeance lui était interdite pour le moment. Mais ce n'était que partie remise ! Colten serra les dents, le front couvert de sueur. Il le leur ferait payer, à tous, et avec les intérêts en prime !

Mais, dans l'immédiat, on le prenait pour un autre alors, autant entretenir le quiproquo en attendant de reprendre des forces. Tuer Matt – en supposant qu'il en soit capable physiquement – ne lui apporterait rien.

"Une grande asperge blonde…", demanda-t-il. "Il était avec le boutonneux. Il lui est arrivé quoi ? Je me souviens que j'étais dans un ranch… Mais pourquoi a-t-il été détruit ? Y'a eu des survivants ? Et l'indien blessé ? Où est-il ? Qu'a-t-il dit ?"

Les yeux braqués sur Matt, Colten attendait des réponses, les espérant, tout en les redoutant à la fois. Sa dernière sœur et son deuxième ami étaient peut-être encore en vie… Il devait les retrouver !

"Et c'est quoi ce congrès ? Je verrai le Grand-Faf bientôt ?"

Epuisé, le jeune mutant sentait son mal de tête revenir et commencer à lui brouiller la vue mais il s'accrochait. Il voulait savoir…