[Courtier Grégoire Delibes] New York - Liberty State Park

Grégoire était allongé sur l'herbe, prenant le soleil derrière ses lunettes fumées. Un brin à la bouche, il mâchonnait négligemment en contemplant les nuages qui ressemblaient à des gros morceaux de coton qui allaient et venaient. L'ambiance bucolique du Liberty State Park le mettait toujours dans un état de profonde inspiration et pourtant aujourd'hui, le petit cahier qu'il transportait toujours avec lui était resté passablement fermé et vide à l'intérieur de son sac.

Pourtant il se devait d'être inspiré: son responsable attendait son projet achevé pour la fin de la semaine et il n'avait pas encore écrit quoi que se soit. Visiblement pas paniqué pour autant, Grégoire semblait actuellement se nourrir des rayons chauds que lui apportait le soleil.

Il se redressa sur ses coudes afin de voir les scènes de vie qui avaient lieu tout autour de lui. Des familles, des amoureux, des amis s'étaient réunis en petits groupes épars afin de profiter de cette belle journée. Tous les éléments auraient dû être réunis pour que Grégoire remplisse un nombre incalculable de pages ou enregistre plusieurs essais sonores sur son enregistreur numérique portatif. Pourtant, il semblait davantage intéressé par les gens qui l'entouraient: il s'imaginait leur vie, leur quotidien et semblait pouvoir les cerner quelques instants. Quelles vies insignifiantes vivaient-ils. Et bien malgré lui, Grégoire vivait exactement là même, pensa t-il en se laissant retomber lourdement sur le manteau épais que formait le gazon.

Parfois, la flemme n'était pas un défaut. Ni une qualité d'ailleurs. Elle s'imposait, dans toute sa plénitude. Ce n'était pas une conséquence de la fatigue ou de la lassitude, mais plutôt de l'herbe verte, de la météo agréable, et du ciel bleu. Quelques éléments externes qui, subrepticement, imposaient une flemme qui devenait alors un emploi à temps plein.

Ces considérations existentielles n'étaient toutefois pas l'apanage de toute le monde... Et en particulier pas de quelqu'un qui marchait à grands pas dans le parc, en parlant à voix intelligible. Une voix qui pouvait éveiller en Grégoire des souvenirs pour le moins... lointains.

"J'en sais rien ! Je ne sais même pas où je suis ! Arthur m'a pas balancé au bon endroit."

Puis un blanc.

"Il perd la boule depuis qu'il a ce boulot."

Puis à nouveau un blanc.

"Bon, ok, je te suis. Ouiiiiii, je sais, je vais être en retard."

Se redressant pour identifier la source de ce souvenir, Grégoire put apercevoir quelqu'un qui semblait familier, quoiqu'habillé en costume cravate, et qui avançait à grand pas vers la ville, tout en semblant parler à quelqu'un qui n'était pas là.

Grégoire plissa les yeux comme pour savoir d'où il connaissait ce jeune homme. Il l'avait déjà vu quelque part, il en était certain.

*Nom d'un petit bonhomme !*, pensa le français alors qu'il tentait de se relever, encore un peu engourdi d'être resté en station allongée pendant de longues heures. Ce jeune homme n'était autre que celui qui lui avait permis de s'accomplir et de rejoindre l'Institut, il y a plusieurs années de cela.

Quelle drôle de coïncidence ! Après s'être remis debout, avoir attrapé son sac et l'avoir rapidement passé la bandoulière autour de lui, il tenta de se rapprocher discrètement du jeune homme, ne sachant s'il pouvait l'alpaguer comme ça, en pleine conversation. Il marcha à son allure, à une dizaine de mètres derrière lui hésitant quant à le décision à prendre. Après tout, Tim avait été bien intentionné en premier lieu. Pourquoi aurait-il changé ?

"Tim ?", dit-il une première fois sans être sûr que sa voix avait porté jusqu'au mutant. Il accélera le pas et attrapa Tim par la manche.

"Tim ?"

Se rendant compte qu'il ne laissait pas le temps à son interlocuteur de le remettre, Grégoire lui sourit et lui tendant la main:

"Grégoire ! Tu ne te souviens peut-être pas. On s'était vus chez moi à Reims et tu m'avais aidé à prendre mon envol, en quelque sorte. C'est rigolo qu'on se retrouve ici, à plusieurs milliers de kilomètres de là."

Un peu plus et il allait lui parler du temps qu'il faisait et à quel point ses douleurs de vieillesse étaient difficiles à supporter quand le temps était si sec... Pitoyable.

"Mais tu es occupé, peut-être, je ne tombe pas au bon moment, non ?"

Premier appel, pas de réponse. Il marchait à grands pas, et vu l'avance qu'il avait pris, c'est tout juste si Grégoire arrivait à le rattraper. Mais il parlait toujours à quelqu'un. Peut-être au téléphone...

Deuxième appel, il s'interrompit, puis se retourna finalement vers Grégoire.

"Grégoire...", répéta-t-il comme pour essayer de se remémorer.

Puis finalement, il sembla le remettre.

"Grégoire Délibes... De Reims, avec un cousin qui fourré son nez dans les affaires de la DNSMH.... Et que j'ai envoyé à l'Institut Xavier il y a quelques années...", son ton était vaguement haché, comme s'il répétait ce qu'on lui disait de dire.

"Oui, je me souviens maintenant. Je dois aller à un rendez-vous important, à Uptown... Tu peux m'accompagner si tu veux."

Il reprit alors son chemin. Grégoire réalisa à ce moment là qu'il n'avait pas de téléphone.

"Qu'est-ce que tu deviens ?"

Grégoire laissa Tim le remettre doucement dans son contexte, tout en hochant la tête aux affirmations du français. Il était visiblement engagé dans une discussion prenante et en sortir ne devait pas être chose aisée. Lorsque Tim lui proposa de l'accompagner, Grégoire fut d'abord un peu surpris de cette proposition soudaine. Après tout, ils ne se connaissaient pas si bien que ça et Grégoire se demandait bien dans quelle aventure le français était sur le point de l'entraîner. Dans un second temps de réflexion, Grégoire comprit que s'il voulait avoir une chance de pousser plus loin cette discussion, il devrait le suivre où qu'il aille. Le français semblait bien trop pressé et en retard pour s'arrêter et tailler la bavette avec lui.

Au moment où Grégoire comprit que son ami parlait tout seul, il se retourna brusquement et regarda autour de lui. Y avait-il quelqu'un dans les parages qu'il n'avait pas remarqué ou est-ce que le Ganymède s'était fait implanté un téléphone portable sous cutanée ?

"Tu parlais à quelqu'un, non ?" demanda Grégoire, interrogatif.

Et Grégoire lui emboîta le pas afin de lui faire comprendre qu'il le suivait. Non, l'aérokinésiste n'était pas farouche. Mais à New-York, en pleine ville, que pouvait-il bien lui arriver ? De toutes façons si les choses tournaient mal, il pourrait mettre en pratique les cours de boxe française qu'il suivait depuis quelques temps.

"Bah, je ne deviens pas grand chose. J'ai pris un petit appart à deux pas d'ici et je finis une formation pour devenir compositeur. C'est sympa. Toujours ce que j'ai voulu faire alors je me plains pas."

Devant la morosité de ces propres mots, Grégoire ajouta:

"Oui, ma dimension de super-héros s'est éteinte en même temps que l'Institut Xavier de Salem. Et toi, quoi de neuf ? Toujours en contact avec Garisson ? Tu es bien habillé, dis-moi. Tu as pris du grade ?"

Grégoire espérait soutirer quelques infos confidentielles, quelques anecdotes croustillants sur les terribles dangers que le monde devait affronter. Tout ceci lui manquait, il devait bien l'avouer.

Tim regarda un instant autour de lui, puis répondit

"Non non, je parlais tout seul... J'ai une réunion importante, je t'ai dit, alors ça me permet de me détendre.", avança-t-il en guise d'excuse, sans trop de conviction.

Reprenant sa route en semblant se retrouver remarquablement dans une ville qu'il disait ne pas trop bien connaître, il écouta distraitement les dernières nouvelles de Grégoire, avant d'expliquer.

"Pas vraiment de super-héroïsme pour moi. J'ai fini mon droit, et je bosse pour Ganymède."

Il ajouta rapidement.

"Je bosse pour la Fondation Ganymède."

Avant d'enchaîner

"Je gère un bureau en France. Je dois venir à New-York parce qu'il paraît que nos deux stars veulent faire une tournée sur le vieux continent, et c'est moi qui vais devoir m'en occuper."

"On aurait vraiment dit que tu parlais à quelqu'un... Arthur est ton ami imaginaire sans doutes", répondit-il, un peu taquin, avant de faire un signe de tête illustrant qu'il n'insisterait pas plus.

Ganymède ! Bien sûr ! Grégoire aurait dû avoir fait le lien depuis bien longtemps. Ganymède représentait bien des choses pour Grégoire. Une sorte de super organisation aussi étendue que puissante. Elle avait malgré tout un côté plus sombre, dont beaucoup parlait. Et c'était presque cette partie qui attirait le plus le français.

"Ah ouais Ganymède... C'est pas rien, dis donc. Et ta réunion, c'est avec la fondation. Je vais peut-être te gêner plus qu'autre non ?"

Lorsque le français lui ait expliqué la véritable raison de sa venue, Grégoire ouvrit tout grand les yeux et bafouilla:

"Les bl... Hui... Avec... Chris Anderson et Antonin Karoly ? T'es sérieux ?"

Grégoire tenta de contenir toutes les questions qui venaient de le submerger en un instant. Il appréciait le duo de musiciens comme tout un chacun mais était davantage intéressé par leur univers, leur staff et... leur équipe d'écriture, bien évidemment.

"Tu vas dire que j'abuse mais, t'as besoin d'un coup de main pour la tournée ? Enfin, je veux pas m'imposer mais ça pourrait me faire un super sujet de fin de stage, ça."

Tim ne releva pas la boutade de Grégoire par rapport à son ami imaginaire. Quant à la réunion, il ne semblait pas décidé à être beaucoup plus locace.

"Je vais au centre local de la Fondation... Tu peux y faire des choses si tu veux, mais pour la réunion, il faudra que tu restes devant la porte.", précisa-t-il en rigolant.

Le quartier changeait, on se rapprochait d'Uptown et de ses immeubles plus chics et plus cossus. Jusqu'à ce que Tim s'arrête au pied d'un immeuble à la devanture duquel se trouvait une plaque dorée gravée d'un aigle.

"C'est là. 104e étage...", annonça-t-il comme un écho, avant de se remémorer la présence de Grégoire.

"Je ne sais pas si tu pourras te rendre utile. Je ne sais même pas ce qu'ils veulent de moi, à part peut-être faire face à la montagne de paperasses de l'administration française. Tu n'auras qu'à poser la question à M. Wiseman quand tu le verras."

Grégoire plissa les yeux à la remarque de Tim. Ainsi il accompagnait Tim pour finalement l'attendre derrière la porte... Un concept ! Bien évidemment, il se plierait au fonctionnement. Si cela pouvait de près ou de loin l'aider à approcher les deux popstars, il ferait ce qu'il fallait faire.

Quelques instants de marche plus tard, les deux jeunes gens se retrouvèrent devant l'immeuble. Le 104ème étage, visiblement. Grégoire se retourna à nouveau, afin de voir à qui Tim pouvait bien parler, mais il n'en fit pas mention à son ami de peur de le froisser. Il pouvait lui dire ce qu'il voulait, Grégoire ne croyait pas à son histoire de stress. Il parlait bien à quelqu'un. Etrange.

"M. Wiseman ?"

Ce nom ne lui disait rien. Sûrement le responsable ou du moins, celui de Tim. Les buildings et l'aspect cossu du quartier n'impressionnaient pas Grégoire. Il est vrai qu'il n'avait pas prévu ce matin de rencontrer le haut du panier de la Fondation Ganymède mais qu'importe, le français ferait de son mieux. Grégoire se laissa guider à l'intérieur par Tim. En passant devant la plaque dorée, il passa la main sur la gravure froide et lisse en forme d'aigle.

"C'est le patron ici. Quelqu'un de très influent...", continua-t-il mystérieusement dans l'ascenseur.

"104e étage. Je file à la réunion, je suis en retard. C'était sympa de te revoir et de faire un brin de causette."

Tim laissa donc Grégoire en plan à la Fondation Ganymède. Un étage entier avait été partiellement décloisonné pour ouvrir un espace agréable et accueillant, avec des espaces plutôt dédiés à l'écoute, alors que d'autres étaient plutôt dédiés à la restauration.

Il fila tout droit vers une porte et s'y engouffra...

à suivre